Book club

Le 23/03/2024 de 10:30 à 12:00

Ajouter au calendrier

  • Chapelle de l'Observance

Rejoignez-nous samedi 23 mars 2024 à 10h30 pour un nouveau book club autour de trois romans : L'enfant dans le taxi de Sylvain Prudhomme, La sentence de Louise Erdrich et Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

 

Chapelle de l'Observance

31szf0ro57l sx195

Sur les traces d'un "esseulé majuscule"
Onze ans après Là, avait dit Bahi, Sylvain Prudhomme remet sur le métier un motif secondaire de son premier livre et met au jour un secret de famille.
Comme le meurtrier photographié au second plan dans Blow up, le film d'Antonioni (1966), le secret était là, en évidence, entre les pages d'un roman déjà écrit. En 2012, Sylvain Prudhomme publiait Là, avait dit Bahi, le récit d'un vieil Algérien qui, au volant de son camion, racontait sa vie d'ouvrier agricole sous la colonisation française au jeune bomme qu'il avait pris en stop. C'est là que, pour la première fois, le narrateur avait entendu parler de l'Allemande du lac de Constance, un amour de jeunesse de son grand-père, Malusci, membre des forces françaises d'occupation en Allemagne. Une décennie plus tard, Sylvain Prudhomme fait de cette histoire le motif prinipal de L'Enfant dans le taxi, son roman le plus clairement autobiographique.
Il existe de mutiples manières de plonger dans un matériau intime et d'exhumer un secret de famille. Le propos de l'auteur n'est pas de faire une enquête documentaire mais de tisser des liens, de trouver des échos entre les époques, de questionner les récits et les mythologies sur lesquels sont fondées les familles. Dès les premières pages, il ancre le roman dans la fiction en imaginant une scène qui n'a peut-être jamais existé : l'embrasement né de la rencontre entre Malusci, le Français, et le jeune Allemande, qu'il a sûrement aimée. "Je sais que de ce plaisir naquit un enfant qui vit toujours là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre tendu vers lui", confesse Simon, double de l'auteur, lui aussi écrivain.

La quête d'un enfant caché
Car le cœur du roman, qu'on peut révéler sans rien gâcher, est la quête de cet enfant caché, resté de l'autre côté de la frontière alors que son père bâtissait sa vie en Algérie, puis en France. Marié à Imma, Malusci, père de trois autres enfants, est devenu un patriarche mélomane, dispensant ses verdicts cassants lors des repas de famille. Averti par Franz, un oncle par alliance, de l'existence de ce fils étranger le jour de l'enterrement de son grand-père, Simon brave les oukases d'Imma pour tenter de le retrouver. Fraîchement séparé de sa compagne, il affronte dans le même temps la solitude, le vide, et la nécessité d'inventer une nouvelle vie avec ses deux garçons, une semaine sur deux.

Intranquille face au monde
On retrouve dans ce beau roman aux phrases amples des thèmes qui courent dans les livres de Sylvain Peudhomme : l'Histoire, les voyages, la tension entre l'ancrage et le désir de partir. En déplaçant son centre de gravité de l'Afrique ves l'Europe, de la fin de la colonisation à l'après-Seconde Guerre mondiale, l'auteur des Grands (2014), de Légende (2016) et de Par les routes (2019) entame une nouvelle étape de son travail, déjà à l'œuvre dans Les Orages (2021), son recueil de nouvelles. Alors que passent les saisons, de l'été à l'hiver, il suit Simon sur les traces de "M.", "l'esseulé majuscule", qui le touche tant. "J'ai songé au métier d'écrire. J'ai pensé que, comme M., je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n'arrivaient pas à s'en contenter tel quel, devraient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre", avance le narrateur. Que se sont-ils dit ? Sylvain Prudhomme, comme Simon, a l'élégance de rester au seuil.

Source : Sophie Joubert, L'Humanité, 19 octobre 2023

 

Louise Erdrich, à l’écoute de l’invisibleLa sentence prix femina etranger 2023

L’écrivaine, après une vingtaine de livres en quarante ans, bénéficie d’une reconnaissance impressionnante. Mais elle tient toujours une librairie spécialisée dans les cultures amérindiennes à Minneapolis, dans laquelle se passe son nouveau roman, « La Sentence ».(...)
Cette librairie chère à son cœur, elle l’a créée, en 2001, pour célébrer la mémoire de ses ancêtres indiens. Un lieu spécialisé dans les ouvrages autochtones. Un lieu à son image, simple, calme, habité. Comme la « cabine » qu’elle possède sur le lac Supérieur, où elle disparaît souvent « pour écrire et pour nager ». Birchbark, c’est son nom, signifie « écorce de bouleau ». Et le bouleau, les Ojibwe l’affectionnaient beaucoup jadis. En rouleaux, comme support d’écriture. Ou pour fabriquer leurs légendaires canoës (Erdrich en a suspendu un au plafond, qui flotte là tel un gros poisson hors de l’eau). « C’est par ma mère que je descends des Ojibwe, explique-t-elle. L’un de mes ancêtres, un Français de Saint-Malo, un certain Gourneau, a débarqué en Amérique pour faire du commerce de fourrures et il a épousé la fille d’une riche famille ojibwe. Cela se faisait au XVIIIe siècle : c’était pratique pour les “tradeurs” d’avoir cette connexion avec les autochtones. » Prochainement, Louise Erdrich voudrait emmener sa vieille maman ojibwe voir Saint-Malo. La France aurait-elle laissé des traces ? « Mon grand-père parlait un peu français. Mais, surtout, il dansait la gigue, la Red River Jig. Il la dansait vraiment très bien… »

De Birchbark, l’écrivaine a fait le décor de son nouveau roman, La Sentence. Cela faisait longtemps qu’elle y pensait. « Parce que cet endroit si tranquille est en réalité hanté. J’ai toujours senti ici une multitude de présences invisibles. Auteurs, personnages, toutes ces voix s’emmêlent, ça crie, ça s’invective, ça fait un bruit pas possible… » Cette vision magique des livres comme des objets vivants, jamais inertes, l’écrivaine la développe dans son livre. Elle parle des rayonnages comme d’un « rassemblement de consciences ­enfermées dans un assortiment de mots entre deux couvertures cartonnées ». Et sur ces consciences plane, comme sur celles des Afro-Américains, l’ombre des crimes – extermination, expropriation, esclavage, racisme, tueries, violences poli­cières… – qui, depuis l’arrivée des premiers colons jusqu’au meurtre de George Floyd, en 2020, ont endeuillé cette « ville cinglée » qu’est Minneapolis.

Hommage à la chanson de Nina Simone « Mississippi Goddam »

Un chapitre de La Sentence s’intitule « Minnesota Goddam », en hommage à la chanson de Nina Simone Mississippi Goddam (1964). « Cet Etat a été aussi brutal avec les peuples premiers que le Mississippi avec les Noirs. » Elle évoque de nouveau la révolte des Dakota, qui « pèse encore sur les comportements » et dont le souvenir a ressurgi lors des protestations monstres liées à la mort de George Floyd. « Y a qu’à voir le sceau de l’Etat, bordel, fait-elle dire à un personnage. Un Indien armé d’une lance ridicule s’éloigne à cheval tandis qu’un fermier laboure son champ, un fusil posé contre une souche. »

Comme si les symboles ne suffisaient pas, Erdrich fait tourner son roman autour d’un fantôme supplémentaire, celui de Flora, une ancienne cliente de la librairie. En le créant, elle assure qu’elle s’est « bien amusée ». On le sent. Flora est l’archétype de l’« indigénophilopathe ». « Ou, si vous préférez, une “wannabe Indian” » : quelqu’un qui veut maladivement être indien alors qu’il ne l’est pas. « Il y a des clients comme ça… qui répètent : “Quand j’étais petit, je voulais être indien.” » Ce type de lecteur « tient à ce que vous sachiez qu’il dormait dans un tipi en couvertures, se battait contre les cow-boys et ligotait sa sœur à un arbre », écrit-elle. « Fier de s’identifier à un peuple opprimé, il cherche une approbation. » Que fait ­Erdrich dans ces cas-là ? « Comme Tookie [son héroïne, son double], j’écoute en silence puis je leur mets en main l’ouvrage de Paul Chaat Smith Everything You Know About Indians Is Wrong [“tout ce que vous savez à propos des Indiens est faux”, 2009, non traduit]. »

« Sangsue de l’univers amérindien », persuadée qu’elle lui appartenait dans une vie antérieure, Flora tournicote dans la librairie, agace tout le monde et… finit par mourir. Sauf qu’après son décès – un jour de Toussaint, « quand l’étoffe qui ­sépare les mondes est fine comme du papier de soie et se déchire facilement » – cette morte refuse de « rester morte ». On dit que c’est une phrase lue dans un livre qui l’aurait tuée. Depuis, dans la vie de Louise Erdrich comme dans le roman, elle revient chaque jour rôder à ­Birchbark.

Vraiment ? Et où est-elle aujourd’hui ? « Flora ? Un peu partout, en général dans ce coin-là. » Toujours avec le même sourire, Erdrich désigne le rayon de littérature générale, où sont sélectionnés quelques « romans courts et parfaits » de la littérature anglophone. « Un ouvrage qui s’ouvre tout seul, une pile qui s’écroule sans raison… L’autre jour, je disais à quelqu’un : “Vous devriez lire ça”, quand le livre est tombé tout seul de l’étagère. » Une nouvelle cliente est en train de pousser la porte. Longue tresse, sandales, casquette et chien en laisse. « Come on in… » Oui, entrez madame, mais… ­faites quand même attention.

 

Source : site du journal Le Monde

Par Florence Noiville

Publié le 10 septembre 2023 à 10h00, modifié le 11 septembre 2023 à 10h35

 

Vignette p d l 280x410

 

Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécue au milieu de l’Enfer. Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

 

« Gilles Marchand signe un roman très documenté, poignant, tout en contraste où se mêlent légèreté et gravité, fantaisie et poésie. Une histoire d’amour incroyable et touchante, entravée par la guerre, sur fond d’accordéon […]. On ferme le livre , ému aux larmes et on le conseille au plus grand nombre. Si les romans d’Annie Ernaux remuent les lecteurs, ceux de Gilles Marchand touchent tout autant ; laissant leur empreinte durable, ils méritent le bouche à oreille ! Livre en mémoire de ce deuil collectif de la Grande Guerre. »

Nadine Doyen – Traversées, revue littéraire