Book club

Le 11/05/2024 à 10:30

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Samedi 11 mai à 10h30 rejoignez-nous à la chapelle de l'Observance pour échanger autour de plusieurs livres proposés par les participants :

 

 

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Fuir leur petite ville du Midi, ses lotissements, son quotidien morne : Jo et Céline, deux sœurs de quinze et seize ans, errent entre fêtes foraines, centres commerciaux et descentes nocturnes dans les piscines des villas cossues de la région. Trop jeunes pour renoncer à leurs rêves et suivre le chemin des parents qui triment pour payer les traites de leur pavillon.Mais, le temps d’un été, Céline se retrouve au cœur d’un drame qui fait voler en éclats la famille et libère la rage sourde d’un père impatient d’en découdre avec le premier venu, surtout s’il n’est pas « comme eux ».L’été circulaire est un roman âpre et sombre, portrait implacable des « petits Blancs », ces communautés périurbaines renfermées sur elles-mêmes et apeurées. L’écriture acérée, la narration tendue imposent d’emblée le talent de Marion Brunet.

 

Marion Brunet n’est pas une inconnue. Les romans qu’elle écrit pour la jeunesse tranchent par l’acuité de son regard et la vivacité de sa langue. On ne s’étonnera donc pas que L’Eté circulaire, son premier roman pour adultes, frappe par sa maîtrise du rythme et des atmosphères, la finesse de son œil et la puissance de son écriture âpre, physique, intense. On n’est pas là pour faire joli, on va droit à l’essentiel. Les mots sont crus, la langue vigoureuse, et les personnages prennent forme, singulièrement vivants. Céline, 16 ans, « un crâne de piaf, un port de reine » et sa sœur Jo, lestée de « cette lassitude désespérée qui fait parfois office de maturité, même à 15 ans ». Toutes deux avancent au bord du vide ensoleillé de ce lotissement avec vue sur les collines du Luberon, où leurs parents, lui, maçon, et elle, employée dans une école, peinent à joindre les deux bouts. On les voit avec quelques amis et voisins, qui tournent en rond entre fête foraine, supermarchés, petits trafics, apéros à répétition et considérations racistes. Ils ne sont pas pauvres, pas riches non plus comme ces bourgeois mondialisés qui occupent un mois par an les villas avec piscine que le père construit ou rénove. Un événement va tout faire voler en éclats, jusqu’à la tragédie. Marion Brunet a l’art, par mille détails, de dire la moiteur des corps et la poisse des jours, la fatigue et la rage de vivre intimement mêlées. Entre ombre et lumière, violence et tendresse, son roman, subtilement politique, est une belle entrée dans la cour des grands. (Source: Télérama 14 mars 2018 TTT)

 

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1997. Mano et Axelle, aussi passionnées que révoltées, évoluent dans le milieu engagé et militant d’une ville étudiante. Exaltées par leurs idéaux, entourées par un groupe soudé, elles rêvent d’un autre ordre social tout en laissant naître entre elles un amour fou. Jusqu’au jour où elles participent à un braquage qui tourne mal : l’une tue un policier et écope d’une lourde peine de prison, l’autre parvient à s’échapper.

Vingt-cinq ans plus tard, dans la campagne où elle a posé sa caravane, Mano attend, bouleversée, car une femme la cherche. Est-ce la possibilité de retrouvailles si longtemps rêvées ou le moment de solder les comptes ?

 

Face à une crise climatique inéluctable et à un capitalisme sans scrupule, l’époque est à la révolte au sein d’une jeunesse sans illusions. Marion Brunet est de ceux qui savent capter cette colère, à l’image d’un Nicolas Mathieu ou d’un Olivier Adam. L’autrice marseillaise s’en fait l’écho dans son nouveau roman, Nos armes, qui suit un petit groupe de militants radicaux dans leur fronde contre un monde qui court à sa perte.

Etudiantes le jour, Axelle et Mano échafaudent le soir actions spectaculaires et sabotages avec leurs copains de squat. Au cours de ce compagnonnage politique, les deux jeunes femmes voient grandir entre elles un amour timide et protecteur, tel un refuge face à une société qu’elles honnissent. Jusqu’au jour où le groupe monte un casse qui tourne mal. Axelle est arrêtée après avoir abattu un policier ; Mano, quant à elle, échappe à l’intervention policière. Vingt-cinq ans plus tard, sortant de prison, Axelle tente de retrouver son amante et de découvrir qui les a trahis.

Le roman suit la montée de cette radicalisation sans retour avec une écriture libre, innervée de la rage qui habite ses personnages. L’autrice saisit de manière très précise le climat politique dans lequel baigne cette jeunesse : il y a ces bagarres contre les nervis d’un groupuscule d’extrême droite où chacun tente fièrement de tenir son coin de pavé, les soirées enfumées où l’on débat furieusement de la possibilité d’avoir recours aux armes, la fièvre qui dévore les corps dans une rave-party. Le rythme ralentit ensuite et la langue se fait plus rugueuse pour épouser la monotonie des journées en prison, et le désespoir de la solitude que seule la perspective de revoir une amante parvient à éloigner.

Attentive aux détails, la romancière sait aussi installer par petites touches l’atmosphère de la prison : « Il est redoutable le bruit de la ­serrure. Qu’elle s’ouvre ou se ferme, elle devient l’unique source d’information, de modification sensible, dans le vide qui s’annonce. Un vide épais, qui recourbe tout vers l’intérieur de la poitrine », raconte Axelle dans sa cellule réservée aux longues peines. La désillusion gagne peu à peu le récit, à l’image de celle qui ronge nos sociétés.

Reste alors l’urgence du désir entre deux femmes qui ont vieilli éloignées l’une de l’autre, mais n’ont pas laissé s’éteindre cette flamme qui les consume. Ce sont les plus belles pages de ce roman déchirant, comme des lueurs dans la noirceur du moment. Marion Brunet signe un récit sombre et lumineux à la fois, qui transporte par sa justesse de ton. (Source : Le Monde, 4 février 2024)

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« Je voulais raconter ça, l’histoire d’une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d’un drame, avec le plus de lumière possible. » E. D. v. T.
Le temps d’un séjour de quelques semaines dans sa maison d’enfance, la narratrice raconte ses retrouvailles avec sa famille, où, depuis trois générations, hommes et femmes ont choisi le métier de pasteur. Mais quand elle arrive, quelque chose de cet ordre ancien s’est profondément déréglé.

« Le Français dit qu’un ange passe. Le Néerlandais dit qu’un pasteur se promène. » On en croise beaucoup, des pasteurs, dans ce délicat premier roman qui illumine ce début d’année littéraire. La jeune metteuse en scène et autrice Emma Doude vanTroostwijk (née en 1999) installe son livre dans le presbytère d’un village français ceint de grands sapins verts, où vit une famille néerlandaise dont le grand-père, le père, la mère et le fils ont été, sont ou seront pasteurs. Quand la fille, la narratrice, revient après un an d’absence, le grand-père, atteint de troubles de l’âge, ne la reconnaît plus ; le père, fatigué, ne peut compter que sur des Post-it pour se souvenir de ce qu’il a à faire ; Nicolaas, le frère sur le point d’être ordonné, doute; la mère, elle, pasteure du village, fidèle à son poste, travaille ses prédications et veille sur son monde.
De ce fil ténu, Emma Doude van Troostwijk tisse un beau récit fait de courts paragraphes narratifs et puissamment évocateurs, entrecoupés de points linguistiques établissant les équivalents dans les deux langues de quelques expressions idiomatiques, et compose ainsi un ensemble profond autour de la mémoire. Celle qui s’enfuit des uns, celle qui revient chez les autres. Remontent ainsi des souvenirs de vacances en mer du Nord, d’aventures enfantines dans le grenier du temple ou dans les forêts alentour. Les réminiscences d’une foi d’antan (le psaume préféré d’Opa, le grand-père, les notes du cantique À toi la gloire...) se joignent à l’émotion ressentie lors du premier culte de Nicolaas, ou lors de ses questionnements quant à son engagement.
Si la thématique peut faire penser à la remarquable série danoise Au nom du père, sur les affres d’une dynastie de pasteurs (diffusée sur Arte en 2018), pas de trace, ici, de lourde névrose ni de nostalgie envahissante. La famille s’apparente plutôt à un cocon protecteur que la narratrice avoue chérir. « Je pourrais dire que je tiens à eux comme à la prunelle de mes yeux. » Eux qui, en français, « ne tiennent qu’à un fil », mais qui, en néerlandais, « appartiennent au jour ».
(Source : Télérama, 6 janvier 2024 TTT)

 

 


 

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Ce livre parle d’aujourd’hui, de nos asphyxies  et de nos grands besoins d’air. Parce qu’une atmosphère assez irrespirable est en train de devenir notre milieu ordinaire.

Et l’on rêve plus que jamais de respirer : détoxiquer les sols, les ciels, les relations, le quotidien, souffler, respirer tout court.

Peut-être d’ailleurs qu’on ne parle que pour respirer, pour que ce soit respirable ou que ça le devienne. Il suffit de prononcer ce mot, « respirer », et déjà le dehors accourt, attiré, aspiré, espéré à l’appel de la langue.

 

Comment le Covid nous a-t-il rendus suspects les uns aux autres en faisant de nos haleines un potentiel danger public ? Pourquoi la défiguration de la nature engendre-t-elle un environnement toujours plus suffocant ? Jusqu’où les guerres modernes (après les armes chimiques et les chambres à gaz) prendront-elles les poumons pour champ de bataille ? Dans Respire, la théoricienne des lettres Marielle Macé soulève ces questions avec sa grâce bien particulière : un art d’observer le monde comme elle analyserait un texte, attentive aux échos implicites, aux solidarités souterraines, aux espérances cachées. Un sens profond de l’observation où, comme en littérature, on sent bien que l’intime et le collectif ne vont pas l’un sans l’autre. En témoigne par exemple cette belle définition des gens allergiques : « ceux qui respirent mal peuvent faire confiance à leur pauvre souffle, leur souffle bruyant incapable de cacher que rien ne va ». Ou bien ses souvenirs d’enfant asthmatique, et l’image de son père, boulanger, qui avait des quintes de toux chaque matin à cause des résidus de pesticides contenus dans les farines. Qu’on veuille ou non s’intéresser à la politique, au social ou à l’écologie, lorsque ces réalités dysfonctionnent, on en subit tous les conséquences de façon aiguë et viscérale. Dans ses livres d’intervention, Marielle Macé s’entoure des auteurs qu’elle aime, poètes aussi bien que sociologues, pour nous rappeler à cet ordre implacable. Peu à peu, en lisant son dernier opus, on prend conscience du fait que respirer est une forme de résistance – citant Frantz Fanon, elle parle notamment de « respiration de combat ». S’impose alors l’idée que cette chose a priori individuelle qu’on fait sans y penser gagnerait à devenir une cause collective. Encouragée par l’étymologie, cette idée déployée tout au long de son essai, sonne d’ailleurs comme un beau cri de ralliement : donnons à nos respirations le souffle d’une conspiration ! (Source : La Revue des Deux Mondes, novembre 2023)

 

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« Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m'as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m'as dit ça, aussi.

De toutes mes forces, j'ai voulu faire mentir ta malédiction. »

Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l'oubli. Après de longues années d'absence, elle appréhende ce retour. C’est l'ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer. Entre eux trois, pendant quelques jours, l'histoire familiale va se nouer et se dénouer. Sur eux, comme le vol des aigles au-dessus des sommets que ce père aimait par-dessus tout, plane l’ombre de la grande Histoire, du poison qu’elle infuse dans le sang par-delà les générations murées dans le silence. Les voix de cette famille meurtrie se succèdent pour dire l’ambivalence des sentiments filiaux et les violences invisibles, ces déchirures qui poursuivent un homme jusqu'à son crépuscule.

Avec ce texte à vif, Gaëlle Josse nous livre un roman d'une rare intensité, qui interroge nos choix, nos fragilités, et le cours de nos vies.

 

Août 2020. Isabelle descend d'un train. « Il y a longtemps que je ne suis pas venue (…) Disons de nombreuses années, des Noëls et des étés pour lesquels j'ai dit peut-être, j'ai dit on va voir, et je ne suis pas venue. » Aujourd'hui, elle ne peut plus reculer. Son frère, Olivier l'a appelée : « Il faut qu'on parle de papa. » Il a trouvé des bouts de papier dans les poches du père sur lesquels il a écrit son nom, sa date de naissance, son adresse… Alors la voilà. « Nous y sommes. » Les phrases sont courtes et sèches, comme de la salive qu'elle aurait du mal à avaler. « Ton fils et ta fille sont là. »

Mais la route d'abord. Deux heures de voiture. Isabelle observe son frère. Son visage arrondi et le sien, creux. Elle qui ressemble au père. Ce père qui lui avait un jour dit : « Tu vas rater ta vie. » Isabelle se souvient de la dernière fois qu'elle est venue. « Ça s'est mal passé avec toi. Toi, silencieux, taciturne, colérique. » Isabelle s'adresse au père mais le silence reste sourd à ses appels. « Chaque seconde nous rapproche de la montagne. De la maison. De ta maison. » Une sueur glacée descend le long du dos d'Isabelle. Elle a peur. Que s'est-il donc passé ?

La montagne se précise, les souvenirs aussi. Petite, Isabelle jalousait son frère, cette relation entre le père et le fils. Pourquoi ne lui rapportait-il aucun cadeau à elle ? Quelle était sa faute ? Les phrases tremblent. « Pour que tu me remarques, j'ai voulu devenir ton fils. » Isabelle était prête à tout. Et les pages se tournent, odieuses, bouleversantes. Quand, enfin, Isabelle et Olivier arrivent dans la maison. « Tu es là. Tu t'avances vers moi. » Le colosse n'est plus qu'un squelette. On imagine les mains d'Isabelle autour de ce père décharné. La femme qui se déchire avec l'enfant dans sa tête, entre celle qui haïssait le père et celle qui aimerait désormais l'aimer. Peut-on pardonner et oublier ? Mais pardonner n'est-ce pas encore accuser ?

Gaëlle Josse a des mots magnifiques pour parler des violences invisibles. Les fantômes rôdent dans les silences et la nuit. « La douleur est un archipel dont on n'a jamais fini d'explorer les passes et les courants. Elle est inépuisable. » Isabelle aimerait comprendre la colère de son père. Mais le peut-elle ? L'homme confiera-t-il enfin sa souffrance alors qu'il est au crépuscule de sa vie ? Camus écrivait : « Il n'y a pas de soleil sans ombre et il est essentiel de connaître la nuit. » Gaëlle Josse est entrée dans les ténèbres pour sortir dans la lumière. Sublime. (Source : Le Figaro, 15 novembre 2023)